Le dĂ©tournement sĂ©mantique comme technique d’écriture en littĂ©rature cellulaire ivoirienne

The semantic diversion as writing technique in Ivorian cellular literature

Bi DrombĂ© DjanduĂ© (LycĂ©e Moderne Goffry Kouassi Raymond de Sassandra/ UniversitĂ© FĂ©lix HouphouĂ«t-Boigny d’Abidjan-Cocody)

ArtĂ­culo recibido: 23-06-2014 | ArtĂ­culo aceptado: 20-11-2014

ABSTRACT: There are in the context of an Ivoirian cellular literature, SMS designed for aesthetic purposes, to circulate ideas or rather small imaginary stories than mere information. We first called them literary SMS before calling them recently littextos. Strongly influenced by the small size of the writing space offered by the SMS, they generally follow the need to say much in little writing. For some littextos, this performance is ensured by the semantic diversion as a writing technique applied to abbreviations or French or foreign words or phrases, and consisting in divert their first meaning by a process of resemantisation that can affect the signifier or operate only in the conceptual scope of the signified.
RESUMEN: Il existe, dans le cadre d’une littĂ©rature cellulaire ivoirienne en pleine effervescence, des SMS conçus Ă  des fins esthĂ©tiques, pour mettre en circulation des idĂ©es ou de petits rĂ©cits imaginaires plutĂŽt que de simples informations. Nous les avons d’abord appelĂ©s textos ou SMS littĂ©raires avant de les nommer rĂ©cemment littextos. Fortement conditionnĂ©s par l’exigĂŒitĂ© de l’espace d’écriture offert par le SMS, ils obĂ©issent globalement Ă  la nĂ©cessitĂ© de dire beaucoup en Ă©crivant peu. Pour certains littextos, cette performance est assurĂ©e par le dĂ©tournement sĂ©mantique, technique d’écriture appliquĂ©e Ă  des sigles ou Ă  des mots ou expressions français ou Ă©trangers, et consistant Ă  les dĂ©tourner de leurs sens premiers par un processus de resĂ©mantisation pouvant affecter le signifiant ou s’opĂ©rer uniquement dans le pĂ©rimĂštre conceptuel du signifiĂ©.

KEYWORDS: littexto, semantic diversion, acronym, signifier, signified
PALABRAS CLAVE: littexto, détournement sémantique, sigle, signifiant, signifié

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1. Introduction

Dans le sillage de l’écriture ou du langage sms, degrĂ© zĂ©ro de la crĂ©ation dans un nouvel espace d’écriture, il est nĂ© en CĂŽte d’Ivoire, comme sans doute ailleurs en Afrique et dans le monde, une littĂ©rature cellulaire avec une identitĂ© propre et des caractĂ©ristiques bien locales. Cette littĂ©rature pratiquĂ©e et consommĂ©e Ă  travers le tĂ©lĂ©phone portable utilise principalement le Short Message Service ou Service de Messagerie Succinct (SMS) pour sa mise en Ɠuvre. Il s’agit donc d’une littĂ©rature pensĂ©e pour le numĂ©rique et avec le numĂ©rique (Farge, 2011) et qui utilise, dans sa production, sa manifestation et sa consommation, certaines propriĂ©tĂ©s spĂ©cifiques du support numĂ©rique telles que l’interactivitĂ©, l’ubiquitĂ© et le feed back, la compatibilitĂ© et la complexitĂ© (Bootz, 2006; DjanduĂ©, 2014).

La littĂ©rature cellulaire ivoirienne est un ensemble hĂ©tĂ©rogĂšne, dans la forme et le fond, composĂ© de courts rĂ©cits satiriques ou comiques, de petits poĂšmes amusants ou sĂ©rieux, de textes dialoguĂ©s et de textes argumentatifs Ă  vocation souvent didactique. AprĂšs les avoir appelĂ©s sms ou textos littĂ©raires, nous avons dĂ©cidĂ© de les identifier dĂ©finitivement par le terme littextos afin de les distinguer de tous les autres types de textos Ă  caractĂšre d’abord et surtout purement informatif. Le nĂ©ologisme rĂ©sulte d’une fusion de l’adjectif «littĂ©raire», abrĂ©gĂ© en le rĂ©duisant Ă  sa premiĂšre syllabe «lit-», et du substantif «texto».

Le littexto est donc le texto ou le sms littĂ©raire par excellence; il suppose, par consĂ©quent, une utilisation esthĂ©tique du langage au-delĂ  de la simple volontĂ© d’informer, d’oĂč la littĂ©rature cellulaire. Il faut alors exclure du champ de cette littĂ©rature, entre autres, a) les textos Ă  caractĂšre commercial ou publicitaire; b) les textos Ă  caractĂšre informatif, reçus d’agences de presse nationale ou internationale; c) les textos Ă  caractĂšre officiel, provenant d’une autoritĂ©, d’une structure officiel, d’une administration publique ou d’une institution de la rĂ©publique; d) les textos Ă  caractĂšre professionnel; e) les textos Ă  caractĂšre personnel; f) les textos destinĂ©s Ă  la propagande, qu’elle soit religieuse, politique, ou de toute autre forme ; g) les textos malveillants; etc. (DjanduĂ©, 2014:19).

Dans leur construction, les littextos obĂ©issent Ă  la contrainte de l’espace Ă  l’origine, entre autres, les contraintes de temps et de coĂ»t notamment, de l’avĂšnement de l’écriture sms ; ce qui explique que le balancement entre cette Ă©criture et l’écriture normative soit une caractĂ©ristique essentielle de la littĂ©rature cellulaire ivoirienne, tout comme l’est l’influence de l’oralitĂ© ou encore le style d’écriture par jets basĂ© sur des raccourcis elliptiques divers ou des successions de phrases courtes et/ou de groupes nominaux. La taille rĂ©duite des Ă©crans de tĂ©lĂ©phones portables et la limitation du nombre de caractĂšres par texto font, en effet, que le dĂ©fi consiste toujours pour tout auteur de littexto Ă  dire beaucoup en peu de mots, d’oĂč, au niveau de la formation des mots et des phrases, le recours frĂ©quent Ă  l’abrĂšgement et, au niveau de la construction des idĂ©es, l’appel au dĂ©tournement sĂ©mantique entre autres techniques d’écriture telles que la caricature ou la parodie.

Le propos de cette contribution est d’analyser quatre formes de dĂ©tournement sĂ©mantique identifiĂ©es Ă  travers l’observation de nombreux littextos : le dĂ©tournement sĂ©mantique des sigles, le dĂ©tournement sĂ©mantique interlinguistique, le dĂ©tournement sĂ©mantique intralinguistique et le dĂ©tournement sĂ©mantique par dĂ©contextualisation terminologique. Mais d’abord, que faut-il entendre par dĂ©tournement sĂ©mantique ? Nous en expliquerons la rĂ©currence et la pertinence dans la littĂ©rature cellulaire ivoirienne avant d’aborder le volet pratique de cet article.

2. De la notion de détournement sémantique

LittĂ©ralement, le dĂ©tournement est le fait de dĂ©tourner, c’est-Ă -dire, ici, de «Donner Ă  quelque chose [
] un autre sens que son sens original [
]» (<http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/d%C3%A9tourner/2484>) ou une fonction autre que sa fonction traditionnelle. C’est le cas, par exemple, des dictionnaires dits dĂ©tournĂ©s. Ainsi, comme l’expliquait Galisson (1987), «Nous dĂ©tournons le dictionnaire de sa fonction d’outil de description (qui est de rendre compte du lexique de la langue en circulation)», pour en faire un outil de crĂ©ation et de proposition de nouvelles lexies (citĂ© par LĂ©turgie, 2010:1340). Les dictionnaires dĂ©tournĂ©s sont en effet bĂątis sur les dĂ©tournements sĂ©mantiques de lexies dĂ©jĂ  consacrĂ©es par la langue en leur attribuant un sens totalement inĂ©dit et/ou sur la proposition de nouveaux mots pour la langue.

Dans une typologie de ces dictionnaires Ă©tablie sur la base des mĂ©thodes de crĂ©ation de lexies utilisĂ©es, Arnaud LĂ©turgie (2010:1342) distingue trois grandes catĂ©gories d’ouvrages: les nĂ©omorphologiques, les nĂ©omorpho-sĂ©mantiques et les nĂ©osĂ©mantiques. Ces dĂ©nominations correspondent donc aussi Ă  trois maniĂšres diffĂ©rentes de dĂ©tourner les mots de leurs sens habituels, et dĂ©signent Ă©galement le rĂ©sultat de ces dĂ©tournements, c’est-Ă -dire les nouvelles lexies proposĂ©es Ă  la langue.

Les nĂ©omorphologiques sont les dictionnaires de mots inventĂ©s dans lesquels le dĂ©tournement est essentiellement perceptible sur le signifiant ; les lexies crĂ©Ă©es ne sont tirĂ©es d’aucun mot existant. Les nĂ©omorpho-sĂ©mantiques sont les dictionnaires de mots-valises, qui sont des lexies dĂ©tournĂ©es Ă  la fois au niveau du signifiant et du signifiĂ©. Enfin, les nĂ©osĂ©mantiques sont les dictionnaires de mots redĂ©finis, c’est-Ă -dire, de mots existants mais dont les dĂ©finitions sont dĂ©tournĂ©es par les auteurs pour faire entendre leurs voix, distiller leurs opinions ou livrer des pensĂ©es plus personnelles. A l’intĂ©rieur de cette derniĂšre catĂ©gorie, les nĂ©osĂ©mantiques monolingues regroupent les changements de sens de mots existants dans la langue considĂ©rĂ©e et les nĂ©osĂ©mantiques bilingues consistent Ă  traduire littĂ©ralement une expression dans une autre langue ou vice-versa.

Le dĂ©tournement sĂ©mantique va donc au-delĂ  du simple glissement sĂ©mantique, «consistant Ă  remplacer une expression par une autre afin de la dĂ©charger de tout contenu Ă©motionnel et de la vider de son sens (euphĂ©misme)» ou, Ă  l’inverse, pour en renforcer la force expressive afin de mieux Ă©mouvoir l’auditoire <http://pythacli.chez-alice.fr/semantique.htm>. La notion de dĂ©tournement suppose en effet une plus grande violence sur le mot ou l’expression que celle de glissement. Le mot ou l’expression n’est pas simplement remplacĂ© par un synonyme visant Ă  attĂ©nuer (ĂŽter la vie < tuer ; agresser sexuellement < violer) ou Ă  amplifier son sens (bombardement > frappe aĂ©rienne, capitalisme > libĂ©ralisme), il est atteint dans son intĂ©gritĂ© physique (le signifiant) et/ou dans son Ăąme (le signifiĂ©), ce qui relĂšve d’un vĂ©ritable «forcement de la langue», expression par laquelle Souley Ba (2005) dĂ©signe la violence qu’exerce AimĂ© CĂ©saire sur les structures de la langue française (citĂ© par Lassi, 2006: 11).

S’appuyant ensuite sur un corpus de 40 rĂ©fĂ©rences, LĂ©turgie (2010: 1343-1344) Ă©tablit que les dictionnaires nĂ©omorpho-sĂ©mantiques sont plus nombreux que les deux autres types mentionnĂ©s du fait, sans doute, du type de nĂ©ologismes y rencontrĂ©s. Le mot-valise, poursuit-il, reprĂ©sente le compromis entre la transgression morphologique et la transgression sĂ©mantique. Parmi les procĂ©dĂ©s d’innovation lexicale rencontrĂ©s dans les dictionnaires dĂ©tournĂ©s, le mot-valise est celui qui s’approche le plus du jeu de mots, d’oĂč son succĂšs, puisque son processus de crĂ©ation consiste Ă  fusionner deux lexies existantes pour en former une troisiĂšme, inĂ©dite.

On l’aura compris, plus que par les dictionnaires dĂ©tournĂ©s en tant que tels, nous sommes intĂ©ressĂ© par les processus de crĂ©ation de nouveaux mots qu’ils emploient, que ce soit en dĂ©tournant des lexies dĂ©jĂ  consacrĂ©es de leurs sens traditionnels ou en dĂ©formant des signifiants Ă©tablis dans la langue ou dans une autre langue pour leur faire dire autre chose que ce qu’ils ont l’habitude de dire. En littĂ©rature cellulaire ivoirienne, de nombreux littextos en circulation sont composĂ©s Ă  travers le dĂ©tournement sĂ©mantique de sigles plus ou moins cĂ©lĂšbres, de mots ou d’expressions de la langue française ou de langues Ă©trangĂšres, tantĂŽt en agissant sur le signifiĂ© uniquement, tantĂŽt en s’attaquant Ă  la fois au signifiant et au signifiĂ©. On aboutit ainsi Ă  la crĂ©ation de nĂ©osĂ©mantiques et de nĂ©omorpho-sĂ©mantiques, les cas de nĂ©omorphologiques Ă©tant rares mais pas inexistants pour autant ; on en rencontre notamment lorsque des noms propres du terroir sont substantivĂ©s.

3. Le détournement sémantique en littérature cellulaire ivoirienne

Avant tout, le dĂ©tournement sĂ©mantique participe de la littĂ©raritĂ© des littextos, si tant est que la littĂ©rature «commence dĂšs que les usagers d’une langue dĂ©cident de jouer avec cette langue, arrachant des mots Ă  leurs habitudes sĂ©mantiques, brisant des tabous lexicaux et syntaxiques, etc.» (DjanduĂ©, 2014:22). Le dĂ©tournement sĂ©mantique est, en effet, l’une des meilleures illustrations de l’utilisation de la langue au-delĂ  de la simple transmission d’informations, et donc Ă  des fins poĂ©tiques et esthĂ©tiques.

Plusieurs raisons peuvent expliquer la rĂ©currence de cette technique d’écriture en littĂ©rature cellulaire ivoirienne. La premiĂšre est que le dĂ©tournement sĂ©mantique, consistant fondamentalement Ă  associer des signifiĂ©s inattendus Ă  des signifiants Ă©tablis, est efficace pour dire beaucoup en peu de mots dans un espace scriptural millimĂ©trĂ©, de par la possibilitĂ© qu’elle donne de traduire avec force des idĂ©es, des opinions, des convictions ou des positions ; la deuxiĂšme, liĂ©e Ă  la premiĂšre, est qu’il est un merveilleux instrument de satire, de dĂ©rision ou d’humour, qui contribuent tous Ă  renforcer le caractĂšre Ă  la fois distractif et engagĂ© de la littĂ©rature cellulaire ivoirienne. Enfin, troisiĂšmement, le caractĂšre informel de cette littĂ©rature, dans un espace d’écriture ouvert Ă  tout et Ă  tous, lui fait accueillir les expressions esthĂ©tiques populaires du langage relevant de l’oralitĂ©, lesquelles incluent gĂ©nĂ©ralement les jeux de mots, et, en CĂŽte d’Ivoire comme ailleurs, le dĂ©tournement sĂ©mantique de sigles divers.

AprĂšs voir observĂ© et pratiquĂ© les littextos pendant plus d’un an, nous avons pu dĂ©gager quatre formes de dĂ©tournement sĂ©mantique qui reviennent souvent chez les auteurs anonymes. En dehors donc du dĂ©tournement sĂ©mantique des sigles, il ya le dĂ©tournement sĂ©mantique interlinguistique, le dĂ©tournement sĂ©mantique intralinguistique et le dĂ©tournement sĂ©mantique par dĂ©contextualisation terminologique. A l’intĂ©rieur de cette typologie, le dĂ©tournement sĂ©mantique peut ĂȘtre intentionnel ou non intentionnel. L’intentionnalitĂ© ou la non-intentionnalitĂ© s’entend du point de vue de l’auteur ou du narrateur. Ainsi, le dĂ©tournement sĂ©mantique est intentionnel lorsqu’il est voulu et fabriquĂ© de toutes piĂšces par l’auteur ou le narrateur ; il est non intentionnel lorsqu’il rĂ©sulte, chez un personnage, d’une mauvaise interprĂ©tation, de l’ignorance, d’une mauvaise traduction, une mauvaise lecture, une mauvaise conjugaison ou une mauvaise prononciation, etc.

En outre, qu’il soit intentionnel ou non intentionnel, le  dĂ©tournement sĂ©mantique peut d’abord affecter le signifiant dans sa morphologie pour ĂȘtre l’aboutissement d’une dĂ©construction/reconstruction lexicale, donc d’une dĂ©formation ou d’une transgression morpho-sĂ©mantique (nĂ©omorpho-sĂ©mantiques); ou tout simplement, quand il se veut plus subtil, s’opĂ©rer essentiellement dans le pĂ©rimĂštre conceptuel du signifiĂ©. Le signifiant reste alors intact dans sa forme ; seul le signifiĂ© se dĂ©place ou est dĂ©tournĂ© (nĂ©osĂ©mantiques) en vertu d’une analogie mĂ©taphorique, phonique (homonymie partielle ou totale) ou de tout autre type.

4. Des quatre principales formes de détournement sémantique

En allant de la forme la plus frĂ©quente Ă  celle qui l’est le moins, et en nous appuyant sur un corpus de 18 littextos, nous nous proposons dans les lignes qui suivent d’analyser successivement le dĂ©tournement sĂ©mantique des sigles, le dĂ©tournement sĂ©mantique intralinguistique, le dĂ©tournement sĂ©mantique par dĂ©contextualisation terminologique et le dĂ©tournement sĂ©mantique interlinguistique. Chaque littexto est prĂ©cĂ©dĂ© de la date et de l’heure exactes de sa reception et, par souci d’authenticitĂ©, transcrit le plus fidĂšlement que le permet ce changement de support qui le fait passer du tĂ©lĂ©phone portable Ă  l’ordinateur. Les nombreux Ă©carts d’écriture observables dans chaque texte tĂ©moignent du caractĂšre encore largement informel de la littĂ©rature cellulaire ivoirienne. Quant aux « SMismes » qui apparaissent ici et lĂ , ils rĂ©vĂšlent la consubstantialitĂ© entre la littĂ©rature cellulaire et l’écriture sms, l’une Ă©tant le prolongement et le dĂ©passement de l’autre dans un espace d’écriture nouveau devenu aussi depuis peu, grĂące notamment Ă  la prolifĂ©ration des forfaits de sms chez tous les opĂ©rateurs de tĂ©lĂ©phonie mobile, un nouveau lieu de crĂ©ation et d’expression littĂ©raire (DjanduĂ©, 2014).

4.1. Le détournement sémantique des sigles

Exercice intellectuel bien connu ici et ailleurs, le dĂ©tournement sĂ©mantique d’un sigle consiste Ă  lui donner une autre signification dans le but de dĂ©noncer, de critiquer ou d’amuser, ou tout cela Ă  la fois, la frontiĂšre entre l’humour et la satire Ă©tant souvent trĂšs permĂ©able. C’est Ă  des fins satiriques, par exemple, que le sigle PC (Permis de conduire) est dĂ©tournĂ© pour dire «pistolets chargĂ©s» sous la plume d’AssalĂ© TiĂ©moko (2014:5), journaliste ivoirien: «Et, pendant que les auto-Ă©coles sont vides de monde, les centres d’examen de conduite et de code sont bondĂ©s. Pour une bonne distribution de «pistolets chargĂ©s (PC)» appelĂ©s permis de conduire (PC)».

Ailleurs, dans sa livraison du vendredi 21 mars 2014, l’hebdomadaire satirique BĂŽl’kotch, rĂ©agissant au transfĂšrement de BlĂ© GoudĂ© Ă  la Haye, titre: «Cour des preuves insuffisantes. GbapĂȘ rejoint le pĂšre en classe supĂ©rieure». La «Cour des preuves insuffisantes» est une allusion critique Ă  la CPI (Cour pĂ©nale internationale). En outre, l’expression «en classe supĂ©rieure» renvoie, sans le dire, Ă  la classe de CP1 (Cours PrĂ©paratoire 1Ăšre annĂ©e), un autre dĂ©tournement sĂ©mantique du mĂȘme sigle devenu cĂ©lĂšbre en CĂŽte d’Ivoire depuis le transfĂšrement de Laurent Gbagbo Ă  la Haye, «le pĂšre» que va rejoindre le «fils» BlĂ© GoudĂ©.

Mais il ne s’agit nullement d’un phĂ©nomĂšne nouveau. La littĂ©rature cellulaire ivoirienne se fait l’écho d’une pratique rendue populaire par des humoristes locaux tels que GuĂ©i VĂȘh ou Gbi de Fer Ă  travers la RTI (Radiodiffusion TĂ©lĂ©vision Ivoirienne). Et lui offre un nouvel espace d’expression, sans doute encore plus adaptĂ©, parce que plus dynamique et plus ubiquiste que les autres (la tĂ©lĂ©vision, les journaux, etc.). Car le dĂ©tournement des sigles Ă©tait dĂ©jĂ  connu et pratiquĂ© par les Ă©lĂšves et Ă©tudiants, que ce soit en l’appliquant Ă  des sigles ou Ă  des noms de villes ou d’ethnies utilisĂ©s comme tels. Dans le monde scolaire et universitaire justement, des exemples de dĂ©tournement sĂ©mantique bien connus en CĂŽte d’Ivoire sont, entre autres, «Brou Ahou ClĂ©mentine» (nom propre fĂ©minin) ou «Brevet d’AccĂšs au ChĂŽmage» pour le BAC (BaccalaurĂ©at), «Bara TĂ© SĂŽrλ («On ne trouve pas de travail» en langue malinkĂ©) pour le BTS (Brevet de Technicien SupĂ©rieur).

Par ailleurs, quelle conscience dĂ©jĂ  active dans les annĂ©es 80-90 ne se souvient pas de «Cargo rempli de Singes» pour CRS (Compagnie RĂ©publicaine de SĂ©curitĂ©), «BaoulĂ©s Inintelligents ContrĂŽleurs d’Igname en CĂŽte d’Ivoire» pour BICICI (Banque Internationale pour le Commerce et l’Industrie de la CĂŽte d’Ivoire), «BĂȘtes ElevĂ©s par les Touristes EuropĂ©en » pour BETE (groupe ethnique de CĂŽte d’Ivoire), «Syndrome Imaginaire pour DĂ©courager les Amoureux» pour SIDA (Syndrome de l’Immuno DĂ©ficience Acquise) ou de la «Belle MĂšre Wobé» pour la cĂ©lĂšbre marque automobile BMW (Bayerische Motoren Werke), une crĂ©ation de l’artiste ivoirien Roch Bi dans son titre «P.D.G. des Namans» paru en 1991, le wobé étant une ethnie de CĂŽte d’Ivoire.

Un sigle est une «AbrĂ©viation formĂ©e par une suite de lettres qui sont les initiales d’un groupe de mots» (<http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/sigle/72680>); son dĂ©tournement sĂ©mantique est toujours intentionnel. S’il affecte les signifiants de dĂ©part, ce n’est pas pour les dĂ©former mais gĂ©nĂ©ralement pour leur substituer d’autres signifiants. La conservation des premiĂšres lettres n’établit donc qu’un parallĂ©lisme Ă  minima, parce qu’il s’agit bel et bien de nouveaux mots commençant simplement par les mĂȘmes lettres.

Le dĂ©tournement sĂ©mantique d’un sigle peut ĂȘtre partiel ou total. Il est partiel lorsqu’un ou plusieurs mots sont repris par l’auteur et qui coĂŻncident donc avec le sens original du sigle dĂ©tournĂ©, comme c’est le cas, par exemple, dans «Approche Par Cafouillage» pour APC (Approche Par CompĂ©tences); il est total, en revanche, lorsque tous les mots du sigle sont remplacĂ©s par de nouveaux mots pour exprimer une rĂ©alitĂ© totalement diffĂ©rente. Ce serait le cas, pour le mĂȘme sigle qui dĂ©signe en fait une approche pĂ©dagogique, de «AttiĂ©kĂ© Poisson Chaud», l’attiĂ©kĂ© Ă©tant un couscous de manioc trĂšs consommĂ© en CĂŽte d’Ivoire et, de plus en plus, ailleurs en Afrique.

L’exploitation cellulo-littĂ©raire de ce jeu linguistique de crĂ©ation gĂ©nĂšre des littextos particuliers qui se prĂ©sentent sous la forme d’un enchaĂźnement logique de sigles dont les dĂ©tournements sĂ©mantiques participent tous individuellement de la cohĂ©rence du texte, chaque sigle Ă©tant dĂ©tournĂ© de façon Ă  s’insĂ©rer harmonieusement dans le mĂȘme projet discursif.

15/06/2013 20:47 : La dĂ©nomination de nos militaires n’a pas cessĂ© de changer au fil des annĂ©es, mais avec toujours le mĂšme objectif: Servir et DĂ©fendre la Nation. En effet, lorsque le PDCI Ă©tait lĂ , c’étaient les FANCI (les Fils d’Amoin et N’goran de Cöte d’Ivoire). Sous le FPI, c’est devenu «FDS» (les FrĂšres Digbeu et SĂ©ry) Avec le RDR, aujourd’hui, on a tous connu les fameux FRCI: les ‘FrĂšres Cissé’ qui sont devenus par la suite FANCI qui signifie cette fois: (les Fils Adoptif de Nabintou CissĂ©)

«Fils d’Amoin et N’goran de CĂŽte d’Ivoire» pour FANCI (Forces ArmĂ©es Nationales de CĂŽte d’Ivoire), «FrĂšres Digbeu et SĂ©ry» pour FDS (Forces de DĂ©fense et de SĂ©curitĂ©), «FrĂšres Cissé» pour FRCI (Forces RĂ©publicaines de CĂŽte d’Ivoire), et encore «Fils Adoptif de Nabintou Cissé» pour FANCI. L’auteur dĂ©tourne intentionnellement tous ces sigles pour pointer du doigt le caractĂšre prĂ©sumĂ© tribal d’une armĂ©e ivoirienne dont la composition changerait pĂ©riodiquement en fonction du parti qui gouverne et du groupe ethnique de celui qui tient les rĂȘnes du pouvoir. Le dĂ©tournement sĂ©mantique est total pour chaque sigle.

20/07/2013 11:33 : Un nouveau mariĂ© fatiguĂ© de rapports sexuels avec sa femme ThĂ©rĂšse dĂ©cide de s’abstenir pendant deux semaines.Chaque soir, il porte un pyjama marquĂ© TVA.Sa femme lui demande, c’est quoi TVA? Il lui repond:<<Testicule Vide Aujourd’hui.>>Quelques jours plus tard,elle porte une robe marquĂ©e aussi TVA.Il demande Ă  sa femme ce que cela signifie.Elle lui rĂ©pond:<<ThĂ©rĂšse Va Ailleurs.>> juste pour t’arracher ton beau sourire et te souhaiter une bne jrnĂ©e

«Testicule Vide Aujourd’hui» ou  ThĂ©rĂšse Va Ailleur » pour TVA (Taxe sur la Valeur AjoutĂ©e). Le sigle TVA au cƓur d’un diffĂ©rend conjugal se voit dĂ©tourner de deux maniĂšres diffĂ©rentes dans ce rĂ©cit, chaque conjoint lui donnant un sens qui contrarie le partenaire. C’est dans chaque cas un dĂ©tournement sĂ©mantique total du mĂȘme sigle qui traduit un divorce total entre une nymphomane et un homme Ă  court de libido.

24/08/2013 20:55 : L’ivoirien Ă  quatre visages politique dans le mois du 1er au 8 lorsqu’il percoit son salaire il est FPI (FinanciĂšrement Puissant et Intouchable) ensuite du 09 au 14 il devient PIT (ProblĂšme Interne de TrĂ©sorerie) puis du 15 au 23 il devient RDR (Revenu Dangereusement Reduit) enfin il termine le mois dans le PDCI (Pardon Donne moi Credit Immediatement). juste pour vous arracher un leger sourire. bonne mr:

«FinanciĂšrement Puissant et Intouchable» pour FPI (Front Populaire Ivoirien), «ProblĂšme Interne de TrĂ©sorerie» pour PIT (Parti Ivoirien des Travailleurs), «Revenu Dangereusement Reduit» pour RDR (Rassemblement des RĂ©publicains), et «Pardon Donne moi Credit Immediatement» pour PDCI (Parti DĂ©mocratique de CĂŽte d’Ivoire). Une description originale de la prĂ©caritĂ© financiĂšre du fonctionnaire ivoirien face Ă  la chertĂ© de la vie et Ă  l’abondance des charges, c’est aussi un clin d’Ɠil discret Ă  la situation financiĂšre des principaux partis politiques de CĂŽte d’Ivoire et au train de vie de leurs dignitaires. Naturellement, pour certains de ces partis, certaines insinuations de l’auteur Ă©taient plus vraies hier qu’aujourd’hui.

22/11/2013 08:51 : les fetes approchent, la cote d’ivoire est ss contrĂŽle du FMI (Femmes Mal IntentionnĂ©es), avec l’arrivĂ©e de la BAD (Bande d’Allumeuses Diaboliques). Elles deviennent 2 + en + nombreuses. Elles n’hĂ©sitent pas Ă  se convertir en FRCI (Femmes Raquetteuses, Coupeuses & IntĂ©ressĂ©es) alors pour faire face Ă  ce flĂ©au, il vous est conseillĂ© d’adhĂ©rer maintenant Ă  la CIA (Club International dĂš Avare). soyez donc prudents sinon vous risquez de vous retrouver Ă  la CPI (CommunautĂ© des Pauvres Idiots.) Prends bien tes precautions. Je t’ai parlĂ© dĂšh!!! (Ă  envoyer strictement aux hommes) moi j’en fai parti.

«Femmes Mal IntentionnĂ©es» pour FMI (Fond MonĂ©taire International), «Bande d’Allumeuses Diaboliques» pour BAD (Banque Africaine de DĂ©veloppement), «Femmes Raquetteuses, Coupeuses & IntĂ©ressĂ©es» pour FRCI (Forces RĂ©publicaines de CĂŽte d’Ivoire), «Club International dĂš Avare» pour CIA (Central Intelligence Agency) et «CommunautĂ© des Pauvres Idiots» pour CPI (Cour PĂ©nale Internationale). Une mise en garde amicale faite Ă  travers le dĂ©tournement sĂ©mantique de sigles issus de quatre secteurs pas si Ă©loignĂ©s que cela les uns des autres : la banque (FMI et BAD), l’armĂ©e (FRCI), l’espionnage et le contre-espionnage (CIA) et la justice (CPI). Le dĂ©tournement sĂ©mantique, total dans tous les cas, fait tomber chaque sigle de son piĂ©destal institutionnel pour traduire des scĂšnes banales de la vie sociale liĂ©es en CĂŽte d’Ivoire aux pĂ©riodes de fĂȘtes.

4.2. Le détournement sémantique intralinguistique

Il y a dĂ©tournement sĂ©mantique intralinguistique lorsque la mĂȘme langue, ici le français,  est le point de dĂ©part et le point d’arrivĂ©e du processus de dĂ©formation aboutissant Ă  des nĂ©osĂ©mantiques monolingues. Un mot ou une expression française se voit ainsi affecter un autre sens pour diverses raisons liĂ©es aux personnages ou au contexte. TantĂŽt intentionnel, tantĂŽt non intentionnel, ce type de dĂ©tournement peut aussi ĂȘtre le rĂ©sultat d’une transgression morpho-sĂ©mantique.

20/07/2013 17:01 : <test d’entrĂ©e a la douane> *Le prof: Soro yacou *RĂ©ponse: nan mou. *le prof:qu’est ce qu’un objet prohibĂ©? *Yacou Ă©tonnĂ©:tchĂš c’est douane ou politique? qd on dit proADO lui il aime ADO. Donc un objet proIB est un objet qui aime IB. Mais IB on l’a dja.Bon week end

De «prohibé» Ă  «proIB», IB ou Ibrahim Coulibaly ayant Ă©tĂ©, avant sa mort lors du conflit postĂ©lectoral de 2011, l’un des principaux acteurs de la crise militaro-politique qui secoue la CĂŽte d’Ivoire depuis le coup d’Etat militaire de dĂ©cembre 1999. Cet autre cas de dĂ©tournement sĂ©mantique non intentionnel est imputable au contexte sociopolitique dans lequel se dĂ©roule l’action et au niveau de français trĂšs bas des «FRCI» Ă  l’origine de nombreux Ă©crits dans la littĂ©rature cellulaire ivoirienne.

07/06/2013 17:33 : Un pĂšre surprend sa fille entrain de faire l’amour avec son rĂ©petiteur sur la table d’étude. Heureux,le pĂšre lui dit:«c’est bien ma fille,si papier ne rentre pas et que c’est «»PINE»» qui rentre, c’est bon. Au moins quelque chose rentre,comme ca tu seras «CON-TABLE»». plutard. bonne soirĂ©e.

De «comptable» (dans le sens de «agent comptable») Ă  «CON-TABLE» («CON» renvoyant au « vagin » dans le langage familier et «TABLE» Ă  la «table d’étude» sur laquelle le rĂ©pĂ©titeur et son Ă©lĂšve font autre chose que les Ă©tudes), il y a un dĂ©tournement sĂ©mantique intentionnel qui, affectant partiellement le signifiant de dĂ©part, joue aussi du contexte pour nous faire passer du monde des finances Ă  celui de la sexualitĂ©.

06/07/2013 17:19 : Slt, Un evangeliste dans un village baoulĂ© dit: <<jesus n’aime pas la SORC-E-LE-RIE>>(sorcelerie).Le traducteur dit:<<jesus kloman aviĂ© ni tro>>(jesus n’aime pas la sauce et le riz). La foule repond: hein!! C’est Ă  cause de Ça dans ses films c’est pain seulement il mange avec du vin



De «sorcellerie» Ă  «sauce et le riz», on est passĂ© d’un mot simple Ă  un groupe de mots. Le dĂ©tournement sĂ©mantique, non intentionnel et rĂ©sultant d’une dĂ©formation morpho-sĂ©mantique, est imputable Ă  l’incompĂ©tence en français du traducteur baoulĂ©. C’est donc le rĂ©sultat d’une mauvaise traduction.

27/01/2014 17:14 : une femme burkinabĂ© se rend ds un commissariat et dit michiĂ© le comichĂšre on ma fiolé .Mais Madame pourquoi vous n’avez pas criĂ© pr attirer lattention des voisins ? Si michiĂ©, j’ai criĂ©. J’ai dit lĂšche moi!!! lĂšche moi!!! cest serieu nous sommes encore au commissariat . Bne jrnĂ©

24/03/2014 15: 45 : «COMPRENDRE» est bon, mais «VITE COMPRENDRE» est mieux: Juste aprĂšs un show, une go dit Ă  son nouveau mec: «ChĂ©ri paise-moi!». Le mec qui n’y comprend rien, a du mal Ă  s’exĂ©cuter. AgacĂ©e par son manque de rĂ©action, la nana le quitte en disant «Ponsoir!». Il constate alors que la nana confond le «B» et le «P». Trop tard! Alors ponsoir Ă  toi et que Dieu te pĂ©nisse ponne jrnĂ©

Pour ces deux littextos, le dĂ©tournement sĂ©mantique est plutĂŽt le rĂ©sultat d’une mauvaise prononciation. Il s’agit d’un dĂ©tournement sĂ©mantique non intentionnel imputable Ă  l’accent de la «femme burkinabé», d’une part, et aux problĂšmes de prononciation de la «nana» d’autre part. La «femme burkinabé», dont le morĂ© est la langue maternelle, a un accent si fort que tous les «s» ont tendance Ă  se muer en «ch» dans son langage, ce qui lui fait dire «lĂšche moi!!!» au lieu de «laisse-moi!!!», dans un contexte oĂč il est question de viol. Pour la «nana», c’est la confusion entre les bilabiales /p/ et /b/ qui fait perdre au «nouveau mec» une occasion en chair. Le dĂ©tournement sĂ©mantique s’inscrit ici aussi dans le prolongement d’une dĂ©formation morphologique.

4.3. Le détournement sémantique par décontextualisation terminologique

C’est Ă  la base un dĂ©tournement sĂ©mantique intralinguistique, mais un dĂ©tournement sĂ©mantique intralinguistique spĂ©cialisĂ©. Si le français est le point de dĂ©part et le point d’arrivĂ©e du processus de dĂ©formation, ce sont surtout des termes techniques utilisĂ©s dans un domaine prĂ©cis qui sont transposĂ©s dans un autre domaine sur la base d’un certain nombre d’analogies ou par le seul fait de l’homonymie. Ainsi, basĂ© sur l’analogie phonique, par exemple, ce type de dĂ©tournement sĂ©mantique a donnĂ© lieu Ă  des transpositions devenues cĂ©lĂšbres en CĂŽte d’Ivoire : «TELESEXE» pour TELECEL (actuel MTN) ou «ROKIA» (prĂ©nom fĂ©minin malinkĂ©) pour NOKIA, etc. La transition de PIN (Personal Identification Number) dans CODE PIN Ă  «PINE» (organe gĂ©nital masculin) est, elle, rendue possible par une simple homonymie.

21/09/2013 09:38 : En manipulant son portable NOKIA , le code PIN du vieux bĂ©tĂ© est bloquĂ©e . Il appelle Ă  l’agence et dit : ARO C’EST ORAZE? MA PINE EST BLOQUÉE DANS ROKIA. ZE N’A KA FAIT QUOI ? stp ne ris pas aide le vieux Ă  dĂ©bloquer sa puce? Bne jrnee

Le dĂ©tournement sĂ©mantique par dĂ©contextualisation terminologique a ainsi gĂ©nĂ©ralement pour domaine cible l’amour et la sexualitĂ©, thĂšme cher Ă  la littĂ©rature cellulaire ivoirienne, et pour domaine de dĂ©part les technologies de l’information et de la communication, les mathĂ©matiques, etc. A un niveau supĂ©rieur d’élaboration, il peut ĂȘtre fondĂ© sur des associations mĂ©taphoriques plus subtiles entre le signifiĂ© originel du signifiant concernĂ© et le nouveau signifiĂ© qui lui est affectĂ© dans la crĂ©ation cellulo-littĂ©raire.

19/07/2013 07:39 : Une jeune fille perd ses habits a la piscine et elle se couvre le bas ventre avec une affiche qu’elle vole a  l entrĂ©e de la piscine, les gens rient en la voyant passer car sur cette affiche est marquee: entree gratuite reservee aux hommes attention profondeur 3m imagine la suite. Juste pour rire.

Le dĂ©tournement sĂ©mantique, non intentionnel dans ce rĂ©cit, est rendu possible par l’affiche qui change de lieu pour se retrouver sur le bas-ventre d’une nageuse nue. Dans cette position, bien Ă©videmment, «entree gratuite reservee aux hommes attention profondeur 3m» ne peut que se rapporter dĂ©sormais Ă  celle qui porte l’affiche. Il y a Ă  la fois de l’humour et de la cruautĂ© dans la transposition de cette affiche du domaine de la natation Ă  celui de la sexualitĂ© fĂ©minine.

01/12/2013 08:29 : 1mec impuissant monte sur une go et descend aussitot. La go lui demande: – Que viens-tu de faire? Le mec rĂ©pond: – Je t’ai bipĂ©. La go lui dit: – Appelle-moi maintenant. Et ce dernier rĂ©pond: – Je n’ai plus de crĂ©dit. La go lui dit: – Ok ! Laisse-moi t’appeller. AprĂšs une petite hĂ©sitation, le mec rĂ©pond: – Ma batterie est dĂ©chargĂ©e.

Dans ce rĂ©cit, les termes «bipé», «crĂ©dit», «appeller», «batterie», «dĂ©chargĂ©e», tous empruntĂ©s au domaine de la tĂ©lĂ©phonie cellulaire, sont habilement dĂ©tournĂ©s dans un dialogue entre partenaires sexuels pour exprimer des rĂ©alitĂ©s liĂ©es au sexe et Ă  sa consommation. Il s’agit d’un dĂ©tournement sĂ©mantique intentionnel, comme c’est le cas dans ces deux autres littextos oĂč des concepts mathĂ©matiques se voient aussi transposer dans le domaine de la sexualitĂ© et de l’amour.

07/12/2013 18:13 : Un couple de profs de maths en plein Ă©bats sexuels communique: -La fam: ooh cheri, laisse-moi passer maintenant au NUMERATEUR. –L’hom: ooh bĂ©bĂ©, c’est tard,reste au DENOMINATEUR. –La fam: Ă  peine tu as INTEGRĂ© que tu DERIVE dĂ©jĂ !, je suis fachĂ©e. –L’hom: ces derniers temps,ma TANGENTE me lache vite,Ça devient COMPLEXE pour moi. –La fam: il faut vite revoir ta FONCTION, si la prochaine fois tu as encore un ENSEMBLE VIDE et que l’angle de ta courbe n’atteind pa 90 degrĂ©,je vais chercher une autre CONDITION D’EXISTENCE. Sans commantaire!

09/02/2014 16:52 : Un Prof de Maths drague une fille de 3Ăšme en disant : » BB,kan je regarde ta CONDITION D’EXISTENCE ,je t’inscrit en mĂȘme tant dan mn REPERE ORTHONORME. CĂš prkoi je veu fair de tw ma RECIPROQUE afin ke tu sois pour tjrs le COEFFICIENT DIRECTEUR de mn coeur. La Go s’arrĂšte et 1 minute aprĂšs ,elle rĂ©pond: » Je vai rĂ©flĂ©chir parc ke jai dĂ©jĂ  un VECTEUR ki opĂšre bien ma TRANSLATION et c’est lui ki sait cment dĂ©terminĂ© le SINUS de mn ANGLE


Mais il n’est pas rare que la sexualitĂ© soit utilisĂ©e Ă  son tour comme domaine de dĂ©part pour des domaines cibles aussi divers que variĂ©s. Il s’agit, dans ces cas, de littextos conçus et montĂ©s expressĂ©ment pour dĂ©router le lecteur en orientant sa pensĂ©e vers le dessous de la ceinture afin, une fois tombĂ© dans le jeu, de lui jeter amicalement Ă  la figure son mauvais penchant. MĂȘme pour les plus familiers de la littĂ©rature cellulaire, il n’est pas toujours Ă©vident de sortir indemne de ces piĂšges habilement tendus Ă  l’esprit et Ă  l’imagination.

10/07/2013 07:59 : Elle avait 14 ans et lui 54. C’était la 1Ăšre fois qu’elle se trouvait seule avec lui dans ce lieu. Quand il pĂ©nĂštra son orifice, elle s’est mis a gĂ©mir car il venait de toucher la partie sensible. Il lui demanda: tu as mal? Elle rĂ©pondit: oui! Alors il lui promis de faire doucement. A la fin, elle saignait et c’était normal, car c’était la premiĂšre fois qu’elle se rendait chez le dentiste. Tu as pensĂ© Ă  quoi gatĂ© la? Juste t’arracher un sourire.

04/12/2013 09:32 : Ouiiiiiiiii Ouiiiiiii Ouiiiiiii Ouiiiiii Prends moi, PĂ©nĂštre moi. Je veux te sentir en moi. PĂ©nĂštre moi au plus profond car je t’aime et je veux Ăštre fidĂšle a toi. Fais moi jouir de ta prĂ©sence dans ma vie, OH Seigneur Jesus Christ 
 A quoi as-tu pensé ? Pardon, quitte dans ca. C’est juste la priĂšre d’un nouveau ChrĂ©tien Convertie trĂšs Heureux d’avoir «Christ» dans sa vie. – Si tu as pensĂ© Ă  autre chose, Prie 2h pour ta DĂ©livrance. AgrĂ©able jrnee

Avant l’évocation du «dentiste», tout dans le premier littexto fait penser Ă  un acte de pĂ©dophilie mĂ©chamment infligĂ© Ă  une fille de 14 ans par un adulte de 54 ans: «la premiĂšre fois», «seul avec lui dans ce lieu», «pĂ©nĂ©tra son orifice», «gĂ©mir», «toucher la partie sensible», «tu as mal ?», «faire doucement», «saignait». Pour le second littexto, avant l’apparition du «Seigneur Jesus Christ», tout fait penser Ă  des Ă©bats passionnĂ©s : «Ouiiiiiiiii Ouiiiiiii Ouiiiiiii Ouiiiiii Prends moi, PĂ©nĂštre moi»,  «te sentir en moi», «PĂ©nĂštre moi au plus profond car je t’aime», «Fais moi jouir». Cette expression particuliĂšre du dĂ©tournement sĂ©mantique par dĂ©contextualisation terminologique est Ă  la fois la plus subtile et la plus fragile; elle dure juste le temps pour le lecteur de se rendre compte de la supercherie. Car Ă  l’instant mĂȘme oĂč il perçoit la tromperie, il n’y a plus de dĂ©tournement sĂ©mantique, le vrai ayant dĂ©jĂ  chassĂ© le faux.

4.4. Le détournement sémantique interlinguistique

Toujours basĂ© sur l’analogie phonique, il rĂ©sulte au fond d’un double dĂ©tournement. Celui du signifiant Ă©tranger vers un signifiant français, ce qui aboutit ensuite inexorablement Ă  donner au signifiant de dĂ©part un sens autre que celui de la langue Ă©trangĂšre dont il est issu, des sortes de nĂ©osĂ©mantiques bilingues. Ainsi, gĂ©nĂ©ralement non intentionnel dans la littĂ©rature cellulaire ivoirienne, le dĂ©tournement sĂ©mantique interlinguistique sera presque toujours un dĂ©tournement morpho-sĂ©mantique affectant le mot ou l’expression Ă©trangĂšre Ă  la fois dans sa forme (le signifiant) et dans son contenu (le signifiĂ©).

01/07/2013 22:49 : Un prof d’espagnol ki passait dans une rue voit ses Ă©lĂšves en train 2 boire et fumer. Il cria «cuidado» ki veut dire attention! Malheur pour lui il y avait 2 FRCI ki passaient par lĂ  et ont compris: cuit d’ADO. Imagine la bastonnade


De «cuidado» («Attention») Ă  «cuit d’ADO», «cuit» Ă©tant une dĂ©formation populaire du vocable français «cul». Ce dĂ©tournement sĂ©mantique non intentionnel est dĂ», plus qu’à la mĂ©connaissance de l’espagnol par les FRCI, Ă  un zĂšle militant qui les rend particuliĂšrement sensibles Ă  tout ce qui touche Ă  la personne d’ADO[1]. Le signifiant espagnol perd son sens originel en perdant sa forme initiale. On est passĂ© d’un mot simple et sans histoire Ă  un groupe de mots aux consĂ©quences dramatiques.

01/08/2013 10:38 : Un Baoule drague une Ghaneenne:
Baoulé: je peux te voir demain?
Ghaneenne:NEVER!
Baoulé:jihiii!Moi-meme je voulais te dire 9h30! bonne journée

Entendre et comprendre « Neuf heures ! » au lieu de «NEVER !» («Jamais !»), change tout en effet, d’oĂč la joie absurde de ce «Baoule» Ă  qui la langue de Shakespeare venait de jouer un mauvais tour. Le signifiant anglais perd aussi son sens originel en perdant sa forme initiale. On est passĂ© d’un mot simple et dĂ©moralisant dans le contexte oĂč il est employĂ© Ă  un groupe de mots plutĂŽt optimiste dans le mĂȘme contexte.

5. Conclusion

Le dĂ©tournement sĂ©mantique, quel que soit la forme qu’il prend, place finalement la langue elle-mĂȘme au centre de la crĂ©ation littĂ©raire, en jouant des signifiants et des signifiĂ©s pour amuser ou distraire, dĂ©noncer, critiquer ou interpeller. On est frappĂ©, devant chaque littexto, par la dĂ©bauche d’imagination et de crĂ©ativitĂ© dont font preuve ces Ă©crivains du cellulaire encore largement abonnĂ©s Ă  l’anonymat, et qui est capable, grĂące Ă  la magie des mots dĂ©faits puis refaits, dĂ©cousus et recousus de fils multicolores, d’inonder de sens, de dits et de non-dits des textes minuscules.

L’art a ceci de particulier qu’il ne peut ĂȘtre enchaĂźnĂ©, enfermĂ© ni muselĂ©. La dimension artistique de l’art se trouve d’ailleurs dans cette capacitĂ© surprenante Ă  rebondir quand on croit l’avoir Ă©crasĂ© et Ă  remonter Ă  la surface quand on veut l’enfoncer dans les profondeurs. Des chefs d’Ɠuvre ont ainsi vu le jour en Espagne sous la dictature franquiste grĂące Ă  la censure. Les Ă©crivains, acculĂ©s dans leur dernier retranchement, avaient dĂ» pousser l’imagination et la crĂ©ativitĂ© le plus loin possible pour passer outre les mailles du filet, lĂ©guant aux gĂ©nĂ©rations d’alors et Ă  celles d’aujourd’hui des Ɠuvres cultes telles que La familia de Pascual Duarte (1942) et La Colmena (1951) de Camilo JosĂ© CELA ou Cinco horas con Mario (1966) de Miguel DELIBES.

Fleurir lĂ  oĂč l’on est plantĂ©, telle est sans doute la mesure du talent de tout artiste et le secret de l’art. En offrant un nouvel espace d’écriture, le tĂ©lĂ©phone portable offre aussi un nouveau lieu de littĂ©rature, avec, comme toujours d’un support Ă  l’autre dans l’évolution de la littĂ©rature, des contraintes qui ne sont pas ici d’ordre politique ou idĂ©ologique comme dans l’Espagne franquiste, mais plutĂŽt d’ordre technique, liĂ©es notamment Ă  un espace d’écriture trĂšs limitĂ©. Le caractĂšre cellulaire de cette littĂ©rature Ă©lectronique s’entend donc Ă  la fois du support numĂ©rique utilisĂ© (le tĂ©lĂ©phone portable) et de la taille rĂ©duite des littextos.

LĂ  oĂč l’on ne peut dĂ©velopper ses idĂ©es sur de longues pages et sur des dizaines de paragraphes, la littĂ©rature cellulaire se veut une littĂ©rature de la performance sĂ©mantique. Le dĂ©tournement sĂ©mantique est l’une des techniques employĂ©es pour dire beaucoup en Ă©crivant trĂšs peu. L’inflation sĂ©mantique est assurĂ©e par la distance entre le sens premier du sigle, du mot ou de l’expression dĂ©tournĂ© et le sens qui lui est attribuĂ© au dĂ©tour d’une resĂ©mantisation imprĂ©visible, que ce soit en dynamitant au passage le signifiant de dĂ©part ou en le replaçant dans un contexte inhabituel oĂč, par un jeu subtil de mĂ©taphore ou d’homonymie, son sens initial, orientĂ© vers une autre rĂ©alitĂ©, s’en trouve transfigurĂ© ou dĂ©figurĂ©.

Bibliographie

Bootz, Philippe (2006). Les Basiques: la littérature numérique. Leonardo/Olats. <http://www.olats.org/livresetudes/basiques/litteraturenumerique/basiquesLN.php#sommaire>. (02-07-2014)

DjanduĂ©, Bi DrombĂ©. (2014). «De l’écriture sms Ă  une littĂ©rature cellulaire ivoirienne (LCI): le tĂ©lĂ©phone portable comme nouvel espace d’écriture et de crĂ©ation littĂ©raire». Nodus Sciendi 5. <http://www.nodusciendi.net/telecharger.php?file=vol5/Art_DrDJANDUE.pdf> (02-07-2014).

Farge, Odile (2011). «Littérature et numérique: vers quelles écritures?». Bulletin des bibliothÚques de France 5. <http://bbf.enssib.fr/> (02-07-2014).

Lassi, Étienne-Marie (2006). «PoĂ©tique de CĂ©saire». @nalyses. (Une analyse de Mamadou Souley Ba (2005). CĂ©saire. Fondation d’une poĂ©tique. Paris: L’Harmattan.

Léturgie, Arnaud (2010). «Une pratique lexicographique émergente: les dictionnaires détournés». Euralex. <http://www.euralex.org/elx_proceedings/Euralex2010/127_Euralex_2010_9_LETURGIE_Une%20pratique%20lexicographique%20emergente_les%20dictionnaires%20detournes.pdf>. pp. 1340-1346.

TiĂ©moko, AssalĂ© (2014, 7 mars). «(PC) Examen de code, examen de conduite. Des «pistolets chargĂ©s» distribuĂ©s aux candidats». L’ElĂ©phant dĂ©chaĂźnĂ© NÂș232, pp.4-5.



Caracteres vol.4 n1

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Notas:    (↵ regresa al texto)

  1. Initiales de l’actuel prĂ©sident ivoirien, Alassane Dramane Ouattara (ADO). Les FRCI (Forces RĂ©publicaines de CĂŽte d’Ivoire) sont composĂ©es de soldats des FDS ayant fait dĂ©fection et d’ex-rebelles des Forces nouvelles. C’est l’ensemble des forces armĂ©es acquises au prĂ©sident ADO, et qui ont contribuĂ© Ă  le porter au pouvoir en 2011 suite au refus de Laurent Gbagbo de cĂ©der pacifiquement le palais aprĂšs sa dĂ©faite aux Ă©lections de 2010. Elles constituent aujourd’hui l’ArmĂ©e rĂ©guliĂšre de CĂŽte d’Ivoire.

Caracteres. Estudios culturales y crĂ­ticos de la esfera digital | ISSN: 2254-4496 | Salamanca